Vers un PIB vert ?

Les indicateurs de richesse et de développement sont omniprésents dans notre société pour évaluer le niveau de développement de différentes zones géographiques. Que ce soit pour une région, un pays ou même un continent, le Produit Intérieur Brut (PIB) quantifie la production de richesses et détermine ainsi le niveau de vie économique moyen d’un habitant au sein de cette zone. Mais l’outil créé dans les années 1930 pour sortir de la “Great depression” aux États-Unis est depuis plusieurs décennies sévèrement critiqué, et à juste titre, par de nombreuses entités.

Des propositions de PIB vert …

La critique du PIB vient de la définition que l’on donne à un niveau de vie élevé, plus généralement à la notion de richesse. En effet, si l’on cherche à évaluer la capacité d’un habitant à s’acheter une maison, une voiture et des vivres, c’est un bon indicateur. Cependant, quel prix paie-t-il pour sa santé physique et mentale ainsi que la santé de son environnement, qui ne sont pas inclus dans le PIB ? Un exemple marquant est celui d’une marée noire : un super tanker qui s’échoue va faire appel à de nombreux mécanismes d’assurances, des entreprises de nettoyage, la fabrication d’un nouveau tanker et autres, et va donc participer à l’augmentation du PIB.

Il est donc clair que c’est un indicateur qui ne comptabilise pas les écosystèmes détruits (par le fioul lourd dans l’exemple), les effets sur la biodiversité ainsi que les effets sur notre santé (les poissons dans notre assiette auront peut-être ingéré du pétrole). Pour donner un autre exemple plus marquant sur notre santé, l’augmentation de cancer et donc de recours à la chimiothérapie, augmente le PIB. Il faut donc envisager de faire évoluer le PIB pour y inclure des données de richesses autres qu’économiques et tout aussi importantes, voire plus, comme la biodiversité, le bien-être et la santé.

Ainsi, plusieurs instituts se sont attelés à modifier le PIB pour le rendre plus “vert”. L’ONU, de son côté, a créé le IWI (Inclusive Wealth Index) qui est plus communément appelé PIB vert, et qui intègre en plus du capital économique, un capital humain et un capital naturel. La Banque Mondiale a créé l’épargne nette ajustée (ENA) ou “épargne véritable” qui calcule la variation des ressources économiques, humaines et naturelles après un cycle de production. Si elle augmente, alors les ressources d’un pays croissent et inversement.

De cette façon, on peut dire que le PIB vert existe déjà et qu’il suffirait que nos médias et politiques les utilisent. Cependant, ce type d’indicateur a très vite montré ses limites, et n’est pas suffisant pour évaluer la durabilité et l’impact environnemental de nos économies.

Les limites inhérentes au PIB vert

Les propositions d’indicateurs verts alternatifs au PIB traditionnel sont vivement critiquées. Prenons l’exemple du IWI(X). Entre 1992 et 2008, le PIB de la Chine a crû de 9,6 % en moyenne annuelle, alors que l’IWI seulement de 2,1 %. Cela traduit une importante expansion économique au sens classique du terme, mais au détriment du capital humain et naturel. A titre de comparaison, l’Allemagne a vu son PIB croître de 1,5 % en moyenne annuelle, mais son IWI de 1,8 %, ce qui indiquerait a priori une croissance plus vertueuse. Il n’empêche : pouvons-nous objectivement considérer que le développement de la Chine sur cette période, et dans une moindre mesure celui de l’Allemagne, soient soutenables ?

Plus généralement, il n’est pas évident d’attribuer des valeurs monétaires à un grand nombre d’actions et processus relatifs à la soutenabilité environnementale. Or, le PIB repose sur un calcul comptable. Il existe de nombreuses tentatives de quantification, qui ont le mérite de chiffrer des actions, ce qui est toujours percutant pour les dirigeants et autres financiers. Mais l’inconvénient, quasi philosophique, est simple : comment attribuer une valeur monétaire à des actes humains, comment différencier la valeur (au sens prix) d’une chose, des valeurs que le collectif lui attribue ? De plus, monétiser revient à mettre sur le même plan toutes les dimensions mesurées. Par conséquent, on ne tient pas compte de l’irréversibilité de certains processus ou du franchissement de seuils critiques, après lesquels aucune politique économique ne permettra un retour en arrière.

Dans l’ensemble, vouloir un PIB vert revient à étendre la monétarisation à des décisions de vie qui sont difficilement quantifiables. Cela témoigne de l’incapacité du système conventionnel à considérer d’autres valeurs que celles purement monétaires, afin de coordonner les décisions politiques.

Alternativement, nous proposons la création et l’utilisation de tableaux de bord. Ceux-ci, pouvant émaner d’une construction impliquant autant les politiques et industriels que les citoyens, mettraient en exergue les critères qui décideraient des politiques à instaurer. En évaluant les conséquences de celles-ci au regard de ces critères, tangibles et compréhensibles d’un plus large public, nous intégrerons mieux les contraintes de soutenabilité écologique et de résilience sociale. Il va de soi qu’une telle démarche nécessiterait davantage de ressources humaines et techniques de maintenance, mais il permettrait d’inclure les experts et scientifiques liés aux domaines. Des exemples d’indicateurs pouvant composer ces tableaux de bord sont donnés dans le tableau suivant, regroupés par thématiques. Notons que la plupart existent et est maintenue à jour par des instances mondiales, ce qui encouragerait leur adoption.

CatégorieIndicateurs possiblesSources possibles
RevenuRevenu disponible des ménagesBanque Mondiale, Eurostat, OCDE
SantéEspérance de vie, mortalité, morbiditéOMS, Eurostat
ConfianceConfiance interpersonnelle et institutionnelleWorld Value Survey, OCDE
EnvironnementÉtat de l’air, de l’eau, de l’alimentationONU, AEE, OMS
Crises écologiquesÉtat du climat, de la biodiversité, des écosystèmesGIEC, IPBES, WWF

SEEA, l’extension de la comptabilité nationale à l’environnement

Dans le cadre d’une approche systémique pour la transition vers le développement durable, le sommet de Rio en 1992 avait proposé le développement de comptes intégrés de l’économie et de l’environnement. Un Système de Comptabilité Environnementale-Économique (SEEA) à l’intérieur de l’ensemble plus large des normes statistiques internationales a ainsi été progressivement élaboré et adopté comme norme statistique officielle internationale par les Nations Unies en 2012.

Cette approche permet de capitaliser sur la robustesse des calculs comptables et la prééminence de ces modes de calcul dans le monde économique, privé comme public. À noter que l’estimation du capital humain relève d’un compte satellite de la comptabilité nationale.

Au sein du SEEA, la Nature est considérée comme un agent au même titre que les ménages ou les industries. La logique d’équilibrage des flux, propre à la comptabilité, est d’équilibrer les flux entre tous ces agents de sorte que la somme des ressources est égale à la somme des emplois.

On peut distinguer deux conceptions de la nature. D’abord, la nature peut être considérée comme source de ressources naturelles extractibles dont la disponibilité diminue par prélèvement. Ensuite, on peut l’envisager comme source de services d’écosystèmes dont la quantité et la qualité peuvent être réduites du fait de la dégradation des actifs naturels. La monétisation est plus problématique pour cette deuxième vision. Pour les services d’écosystème, les économistes fournissent des valeurs basées sur le consentement à payer qui ne constituent pas des équivalents de la valeur de transaction.

Les coûts économiques non évalués et la dette écologique

Face à ces difficultés de monétisation, certains comptables, notamment André Vanoli, estiment qu’il serait plus réaliste d’essayer de limiter cette intégration à certaines relations entre l’économie. Selon la même approche, la Commission Stiglitz avait noté que la question de la durabilité ne relevait pas de l’observation, telle que peut la pratiquer la comptabilité nationale, mais de la modélisation du futur long reposant sur des hypothèses fortes.

André Vanoli propose ainsi de considérer la Nature comme un ensemble distinct de l’Économie. Il introduit la notion de coûts écologiques non payés (CENP). Ce sont les coûts que l’économie aurait dû supporter pour éviter la dégradation des actifs naturels, ou qu’elle devrait supporter pour la restaurer ou les compenser par des actifs équivalents. Ces coûts sont calculés en fonction des normes ou objectifs fixés à l’échelle nationale. Par exemple pour les émissions de CO2, des CENP nouveaux apparaissent lorsque les émissions observées sont supérieures à celles préconisées par la trajectoire prévisionnelle. Cet écart est valorisé par le coût marginal du CO2 en début de période.

L’accumulation des CENP au fil des années comptables constitue la dette écologique. Le stock de dette écologique baisse si, de diverses manières, l’économie restaure des actifs naturels dégradés. Les notions CENP et de dette écologique sont particulièrement pertinentes dans le cadre du suivi des engagements et politiques environnementales nationales et adaptées aux approches de suivi budgétaire de l’UE.

Sources :

  1. Laurent, É. Sortir de la croissance : Mode d’emploi. Les liens qui libèrent.

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