La transformation de nos méthodes agricoles semble être l’un des enjeux majeurs d’une transition écologique réussie. En effet, l’agriculture est responsable de 30% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Elle est liée à la déforestation et certaines pratiques agricoles participent à l’effondrement de la biodiversité. Mais la transformation des méthodes de production seule n’est pas suffisante : nos régimes alimentaires, et donc ce que la société attend du secteur agricole, à un impact déterminant sur ses conséquences écologiques et sociales. Faire évoluer nos régimes alimentaires est cependant un défi, qui se joue à l’échelle politique, à l’échelle des agriculteurs et à celle des consommateurs.
Une problématique politique
Ces considérations se suffisent à elles-mêmes pour comprendre que des changements, tant dans la manière de produire (changement des méthodes agricoles) que dans la manière de consommer (changement de régime alimentaires) doivent être entrepris d’urgence. Ils se heurtent toutefois aux mentalités, et font de la question de l’agriculture une question politique complexe.
En France, la politique menée dans le secteur de l’agriculture est dictée par la Politique Agricole Commune (PAC) écrite par la Commission Européenne en collaboration avec les États Membres. Depuis peu, la PAC doit par ailleurs s’articuler autour du Green Deal (qui suppose une profonde transformation de l’agriculture européenne, avec entre-autres la promotion de l’agriculture biologique à hauteur de 25 % des terres cultivées, et une réduction de moitié de l’usage des pesticides d’ici 2030).
La PAC et l’appartenance à l’UE sont souvent considérées comme contre-productives d’un point de vue écologique (les États membres se retrouveraient pieds et poings liés par une politique très restrictive). Pourtant, la majorité des engagements «verts» figurant à la PAC sont issus de propositions de la Commission Européenne, et non des États membres. Mais cette politique plus écologique se heurte souvent aux volontés politiques de chaque État membre qui complique la mise en place de certaines mesures (exemple du chantage aux Rafales de l’Indonésie à la France suite au projet d’interdiction d’huile de palme dans les biocarburants en Europe). Cependant, il est possible que sans l’UE la situation serait plus compliquée car soumise aux seules volontés individuelles des États, plutôt qu’à celle de la Commission Européenne.
La place des agriculteurs
Un aspect souvent oublié dans la question de la transition de l’agriculture est la place des agriculteurs eux-mêmes. Cette question peut être analysée sous deux angles différents :
- sur le plan économique : à ce jour, les agriculteurs sont majoritairement soutenus par les aides publiques, qui représentent 200 % de leur revenu brut pour l’élevage de bovin. L’impact économique de la réduction des élevages serait donc marginal : les aides fournies par l’État soutiendraient la réorientation de l’activité agricole vers une pratique plus pro-environnementale.
- sur le plan psychologique toutefois, tout reste à faire. La fonction traditionnelle des éleveurs reste la production, et il sera difficile de leur demander à terme de travailler pour transformer un écosystème, planter des arbres ou enterrer du carbone. Les éleveurs se sentent par ailleurs directement mis en cause par les militants écologiques en reconversion alimentaire comme les végans. Autant de raisons qui font que l’orientation de l’agriculture et l’élevage traditionnels vers des pratiques environnementales et de biodiversité est encore limitée.
Il est d’autant plus important de prendre ces considérations en compte que la profession est déjà très affaiblie, avec notamment un taux de suicide deux fois plus élevé que la moyenne nationale en France. La transition n’aura jamais lieu sans une profonde prise de conscience du secteur agricole.
Un changement de mentalités difficile
Le dernier obstacle à franchir se trouve du côté des consommateurs. Les changements à entreprendre sont d’envergure. Parmi ceux-là, on parle notamment :
- d’une réduction de la consommation de protéines animale (de 200 g par jour et par personne à une cinquantaine de grammes maximum) et de produits laitiers.
- d’une consommation accrue de produits frais, et de légumineuses, le tout avec des approvisionnements locaux.
- d’une moindre consommation de produits transformés.
Mais toucher au régime des Français est une tâche ardue, d’autant que la marche est haute. Les politiques publiques doivent dès lors mettre en place des campagnes de sensibilisation, de manière à ce que la population réalise l’impact de son régime sur le climat (ce qui n’est que très rarement le cas). Enfin, les problématiques alimentaires souffrent aussi d’un manque d’harmonie dans les discours (et une forte présence des lobbys : exemple des débats autour des produits laitiers, des 5 fruits et légumes, …), qui ne doit pas, à terme, risquer de noyer le message principal.
Sources :
- Assocation Solagro scénario (2016), Afterres2050.
- Poux, X. et Aubert, P.M. (2018). Une Europe agroécologique en 2050 : une agriculture multifonctionelle pour une alimentation saine.
- Vieux, F., Privet, L., Soler, L.G., Irz, X., Ferrari, M., Sette, S., Raulio, S., Tapanainen, H., Hoffmann, R., Surry, Y., Pulkkinen, H., Darmon, N. (2019). More sustainable European diets based on self-selection do not require exclusion of entire categories of food. Journal of Cleaner Production.
- Bellora C. et Bureau, J.C. (2016). How green is organic ? The indirect environmental effects of making EU agriculture greener. Diaporama d’une conférence pour le Global Trade Analysis Projet (GTAP), Washington.