Enjeux et limites d’une transformation des méthodes agricoles

À l’heure où la transition écologique prend une place grandissante dans nos sociétés, la transformation de nos méthodes agricoles semble être l’un des enjeux majeurs dans la perspective du respect des accords internationaux sur le climat. L’agriculture est en effet responsable d’environ 30 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (devant la production électrique, 27 %, ou encore les transports, 15 %)  et notamment deux d’entre eux :

  • le méthane : 28 fois plus réchauffant que le CO2, il est émis par l’intermédiaire de la fermentation entérique (rots et flatulences) des ruminants et plus spécialement des bovins qui représente 40 % des émissions agricoles
  • le protoxyde d’azote : pollution caractéristique de l’agriculture, elle est attribuable à l’épandage des engrais. Le protoxyde d’azote (NO2) est dévastateur pour le climat puisqu’il est 300 fois plus réchauffant que le CO2. Il représente 15 % des émissions agricoles.

En plus de ces principales sources d’émissions, il faut aussi prendre en compte les rizières (émettrices de méthane et de protoxyde d’azote car immergées dans l’eau), ou encore la déforestation (destruction de forêt qui captent du CO2 au profit de cultures polluantes). Enfin, une dernière conséquence non négligeable de l’agriculture est l’effondrement de la biodiversité. L’agriculture intensive, la fragmentation des habitats, la surpêche, et bien entendu la déforestation sont à l’origine d’une perte de biodiversité d’environ 30% en un siècle.

Les défis majeurs de l’agriculture

Le secteur de l’agriculture doit aujourd’hui faire face à deux défis majeurs :

  • la sécurisation des approvisionnements : si l’agriculture locale est souvent mise en avant comme une solution à certains problèmes climatiques, il ne faut pas oublier que quantité de régions dans le monde n’ont pas la capacité d’être auto-suffisantes dans leur production de nourriture.
  • le changement de régime alimentaire : notre modèle actuel de consommation est très déséquilibré. Les régimes hypercaloriques dans les pays développés, entraînant maladies et obésité, font face à la faim grandissante dans le monde, qui touche aujourd’hui près d’un milliard d’êtres humains. Par ailleurs, la consommation de protéines animales dans les pays développés semble elle aussi être démesurée : elle est d’environ 200 g par jour et par personne quand l’OMS n’en préconise que 50 g.

Face à ces défis, l’Union Européenne agit. Elle lance en 2020 l’ambitieux Green Deal. Ce projet d’investissement européen de 1000 milliards d’euros sur la décennie 2020 prévoit pour le secteur agricole de réduire de moitié l’usage des pesticides d’ici 2030, de promouvoir l’agriculture biologique à hauteur de 25 % des terres cultivées ou encore de rendre obligatoire l’étiquetage nutritionnel.

En première approche, les solutions pour lutter face aux émissions du secteur agricole par un changement de régime alimentaire semblent être la réduction de la consommation de protéine animale (notamment de produits laitiers, et de viande rouge) ainsi que la consommation de produits issus de l’agriculture biologique. Ces nouvelles politiques soulèvent néanmoins quelques questions, et il ne faut pas négliger les effets pervers d’une agriculture a priori plus verte.

Les limites des solutions proposées

Tout d’abord concernant l’agriculture biologique. Elle consiste à supprimer du processus de production les engrais de synthèse et les pesticides, tout en améliorant le bien-être animal. Elle présente par conséquent des rendements bien inférieurs à ceux de l’agriculture conventionnelle. Un virage massif des méthodes agricoles vers l’agriculture biologique se traduirait ainsi par un choc de productivité, qu’il faudrait nécessairement compenser pour subvenir aux besoins de la population européenne. Un choc de productivité s’accompagnerait en outre d’une hausse des coûts et de l’émergence de nouveaux acteurs (sûrement moins verts) sur un marché devenu attractif. De plus, recourir à l’importation dans l’optique du Green Deal n’est pas une option, puisque les bienfaits de l’agriculture biologique sur l’environnement (pas de rejets de pesticides, hausse de la biodiversité locale…) seraient largement contrebalancés par les émissions de gaz à effet de serre liées aux transports de produits, moins verts par ailleurs. Il n’est donc pas complètement clair qu’un recours massif à l’agriculture biologique soit la solution miracle aux problèmes de l’agriculture conventionnelle.

En parallèle, la réduction de la consommation de viande, aujourd’hui largement plébiscitée par les politiques gouvernementales, pose aussi quelques interrogations dans le secteur de l’agroalimentaire. Responsable d’une majeure partie des émissions de l’agriculture, l’élevage animal est aussi un grand consommateur d’eau (15 000 litres d’eau sont par exemple nécessaires à la production d’1 kg de viande bovine). Son impact sur la santé est aujourd’hui indéniable, si bien que la nécessité de modifier nos régimes alimentaires vers une alimentation moins carnée ne fait aujourd’hui plus vraiment  débat. Toutefois, une disparition complète des ruminants ne serait pas la solution non plus. Ils contribuent en effet aujourd’hui à l’entretien de “prairies permanentes” ou autres pâturages considérés aujourd’hui comme de véritables puits à carbone. Une fois les bovins disparus, ces terres ne devraient par ailleurs pas pouvoir accueillir de nouvelles cultures.

Conclusion

Si aujourd’hui nous disposons de quelques certitudes quant au régime alimentaire à adopter dans les années à venir, le chemin est encore long, et la question reste extrêmement complexe (d’autant plus que la mesure précise des émissions du secteur agricole est une tâche difficile). Les politiques publiques doivent accompagner une transition des méthodes agricoles, mais aussi des mentalités, car si les chiffres sont ce qu’ils sont, il ne faut pas négliger l’aspect psychologique (que ce soit pour le producteur ou le consommateur) d’un tel changement. Il est en outre crucial que cette transformation soit pensée à l’échelle mondiale, au risque que les efforts des uns soient neutralisés par la paresse des autres. 

Enfin, il ne faut pas oublier la place importante que pourrait occuper l’innovation dans cette transition. Que ce soit pour développer des engrais moins polluants ou de nouveaux aliments, l’ingénieur de demain aura fort à faire pour freiner les émissions grandissantes du secteur agricole. Mais là encore, il risque de se heurter à une opinion citoyenne parfois réticente aux innovations agricoles et agronomiques visant à augmenter les rendements (les OGM par exemple).

Sources :

  1. Assocation Solagro scénario (2016), Afterres2050.
  2. Poux, X. et Aubert, P.M. (2018). Une Europe agroécologique en 2050 : une agriculture multifonctionelle pour une alimentation saine.
  3. Vieux, F., Privet, L., Soler, L.G., Irz, X., Ferrari, M., Sette, S., Raulio, S., Tapanainen, H., Hoffmann, R., Surry, Y., Pulkkinen, H., Darmon, N. (2019). More sustainable European diets based on self-selection do not require exclusion of entire categories of food. Journal of Cleaner Production.
  4. Bellora C. et Bureau, J.C. (2016). How green is organic ? The indirect environmental effects of making EU agriculture greener. Diaporama d’une conférence pour le Global Trade Analysis Projet (GTAP), Washington.

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