Les techniques de captage
Seule la capture dans des fumées industrielles très concentrées en CO2 (voir la fiche Nécessité du CCUS) est envisagée aujourd’hui. Même si la composition de ces fumées diffère d’un secteur à l’autre, le principe est toujours le même : on emploie des techniques de séparation des gaz, déjà très utilisées dans l’industrie. Les principales techniques sont [3] :
- Les procédés d’absorption (lavage aux amines, etc.) : le CO2 est absorbé par une solution basique avec laquelle il réagit, puis on chauffe cette solution pour le libérer et le stocker. Cette technique est la plus éprouvée aujourd’hui, et représente 80% de la capacité installée ; mais elle est très encombrante et consomme beaucoup d’énergie si elle n’est pas optimisée.
- L’adsorption : le principe est similaire, mais le CO2 sous pression est adsorbé à la surface d’un matériau solide plutôt que dans un liquide. On baisse ensuite la pression pour le récupérer. Le procédé est pour l’instant moins efficace, mais il y a une recherche très active pour trouver des matériaux d’adsorption plus performants.
- La séparation membranaire : de manière assez intuitive, on “filtre” le CO2 avec une sorte de “tamis à gaz” (membrane poreuse). Cette technologie est plus compacte, mais consomme aussi beaucoup d’énergie – le gaz doit être mis sous haute pression – et est considérée comme moins mature.
Il est à noter qu’il existe un autre principe concurrent dans certains secteurs, comme les centrales thermiques et la production de ciment: l’oxycombustion [3] (ou ses dérivés: chemical looping, cycle d’Allam…). L’idée est de réaliser la combustion dans des conditions très contrôlées (apport d’oxygène extérieur) de manière à obtenir un gaz d’échappement quasi-pur en CO2 et en eau : on réalise ainsi une combustion très efficace, et on n’a plus à séparer le CO2 des autres gaz. Pour le lecteur intéressé, on peut enfin mentionner la boucle du carbonate de calcium (CCL) [7] et les piles à combustible à carbonates fondus (MCFC) [4] comme autres pistes prometteuses.
Remarquons ici que la consommation énergétique de ces procédés est un enjeu de taille : le lavage aux amines représente une consommation énergétique additionnelle de 20 à 30% pour les usines l’utilisant. Aujourd’hui, le captage représente ainsi 70% du coût de la CCUS (Carbon Capture, Utilization, and Storage en anglais).
Transport
Après avoir été capté et isolé du reste des fumées, le CO2 doit être transporté vers les lieux où il sera utilisé ou bien stocké. Comme pour le gaz naturel, le CO2 peut être acheminé soit par un réseau de canalisations (gazoducs) soit par navires ou camions. Letransport par gazoduc nécessite la conversion du CO2 en phase supercritique pour obtenir une viscosité proche de celle d’un gaz en maintenant une densité proche de celle d’un liquide. Le coût de transport peut être baissé jusqu’à 1$/tCO2/250km [1]. Ce type de transport est déjà en place aux Etats-Unis où un réseau de plus de 4000 km permet le transport de 40 millions de tonnes de CO2chaque année. Pour le transport par navires ou camions, le CO2 est liquéfié à 15 bars et -30°C afin d’atteindre une densité volumique suffisante. Les navires transportant le CO2 auraient une technologie similaire aux méthaniers transportant le gaz naturel liquéfié actuellement. Ce type de transport est complémentaire aux réseaux de pipelines car il permet des échanges entre pays ne disposant pas d’infrastructures communes, créant ainsi un marché international plus stable.
Utilisation
De nombreuses industries utilisent le CO2 comme matière première. L’application la plus connue est la production de boisson gazeuse mais le CO2 est aussi utilisé dans le traitement des métaux ou encore la production de médicaments par exemple.
Toutefois, en termes d’ordre de grandeurs, ces applications ne consomment pas assez de CO2 pour espérer utiliser tout le carbone capté. En effet, si l’on suppose que l’on capte 10GtCO2/an (hypothèse d’un déploiement massif du CCUS compatible avec les objectifs du GIEC), pour l’utiliser il faudrait produire 1014 L de Coca-Cola par an (la consommation actuelle est de l’ordre de 1011 L/an).
Une autre idée est d’utiliser le CO2 pour produire du méthane via la réaction de Sabatier (CO2 + 4H2 = CH4 + 2H2O), mais celle-ci nécessite d’importantes quantités d’hydrogène, dont la production est encore extrêmement énergivore. Actuellement, la seule utilisation massive de CO2 viable pour de grandes quantités est la récupération assistée d’hydrocarbures(EOR = Enhanced Oil Recovery). Très développé aux Etats-Unis, ce procédé consiste à injecter le CO2 au fond de réservoirs pétroliers ou gaziers afin de « pousser » les hydrocarbures vers le haut du réservoir où est situé le puits d’extraction et ainsi d’augmenter la quantité d’hydrocarbures extraite (jusqu’à 60% de quantité récupérée supplémentaire). Le CO2 injecté reste alors piégé dans la roche réservoir. Cependant, cette utilisation ne garantit pas que gain en émissions de CO2 soit encore positif en bout de chaine, rendant ainsi cette solution peu attrayante.
Stockage de CO2
Les possibilités d’utilisation du CO2 étant encore très limitées, l’autre solution est de stocker directement le CO2 dans des formations géologiques. Les sites géologiques doivent alors être constitués d’une roche pouvant accueillir du CO2 surmontée d’une roche couvercle (caprock). Les candidats identifiés sont les réservoirs d’hydrocarbure épuisés (depleted reservoirs), qui ont prouvé leur étanchéité en stockant des hydrocarbures durant des millions d’années, et les aquifères salins profonds dans lesquels le CO2 peut être dissous [1].
Les réservoirs épuisés sont identifiés et maîtrisés mais leur capacité est limitée. En ce qui concerne les aquifères, les géologues estiment que leur volume est largement suffisant et qu’ils sont plutôt bien répartis à l’échelle de la planète (estimation basse à 1000 GtCO2 [1]). Mais les ingénieurs réservoirs estiment qu’il y aura potentiellement des problèmes technico-économiques pour une injection massive. En effet, si l’on doit creuser des milliers de puits pour injecter le CO2 avec un débit suffisant, le coût de stockage augmentera énormément.Le stockage géologique de méthane est une technologie éprouvée et les opérateurs se baseront sur ce savoir-faire pour développer le stockage de CO2. Aucune fuite ne sera tolérée, ne serait-ce que pour l’acceptation sociale de futurs projets ; ainsi des travaux précis et des pilotes doivent être développés afin de tester la fiabilité d’un tel stockage à large échelle. Un point sensible est l’étanchéité de la couverture. On sait que l’injection massive d’un fluide dans le sous-sol peut induire de la sismicité de faible magnitude [2], il est donc essentiel de maîtriser cette sismicité et son impact potentiel sur la roche couvercle. Les fissures dans la roche couvercle laisseraient le CO2 migrer lentement vers la surface. Ce CO2 entraînerait une acidification des nappes phréatiques rencontrées et serait éventuellement libéré dans l’atmosphère, anéantissant tous les efforts précédents. Un autre point de fuite à surveiller est le puits d’injection mais ces fuites sont plus facilement détectables et a priori le CO2 réagit avec le ciment du puits en colmatant la fuite. Dans son rapport, le GIEC fait état de modèles prédisant des taux de fuite inférieurs à 1% par siècle [1]. Les pétroliers développent actuellement des protocoles de surveillance et de réaction en cas de fuites.
Développement et freins
Les premières techniques de captage de CO2 ont été développées par les compagnies pétrolières qui, comme indiqué précédemment, ont cherché à augmenter la quantité de pétrole extraite d’un réservoir avec l’EOR. Les accords de Paris (2009) parlent déjà du développement du CCUS pour arriver à la neutralité carbone mais la part des subventions et investissements pour cette technologie n’a jamais dépassé 0.5% [6] des investissements totaux pour les énergies propres et l’efficacité énergétique.
Si l’on sait depuis plusieurs dizaines d’années que le CCUS est nécessaire pour arriver à la neutralité carbone sans décroissance forte et si les technologies développées sont matures, qu’est ce qui peut expliquer le retard de développement de cette activité ?Bernard Durand a identifié en 2011 trois causes [5]:
- Le coût. Les technologies de capture de CO2 sont en effet très énergivores et réduisent de fait les rendements des différentes centrales de production d’énergie. Pour les centrales à charbon, il est communément admis que l’ajout d’une unité de stockage de CO2 baisse le rendement de 45 à 35%. Si on ajoute à cela les coûts de stockage et de transport, également demandeurs d’énergie, on peut le baisser à 30%. Compte tenu du prix actuel du CO2 sur le marché, de 40 à 50 $/t CO2, il n’est pas rentable pour certaines industries de développer le CCUS. Les différents industriels s’accordent sur un prix de 100$/t CO2 pour rendre sa mise en place rentable.
- Les incertitudes sur l’étanchéité des réservoirs de stockage peuvent effrayer les investisseurs et l’opinion publique, même si ces risques sont très bien connus et maîtrisés comme indiqué dans la section ci-dessus.
- L’acceptabilité sociale du stockage qui, de manière similaire à la gestion des déchets radioactifs, peut être perçu comme une fuite en avant. Le meilleur moyen pour faire évoluer les mentalités et faire accepter cette solution est dès lors d’informer et de rassurer sur la sécurité de ces technologies.
Enfin, il est important de noter que lorsque ces barrières seront levées, la mise en place d’une filière CCUS à la hauteur des émissions mondiales prendra du temps (de l’ordre de plusieurs dizaines d’années).Or chaque année d’émissions aggrave le changement climatique : il est donc urgent de lancer des projets de CCUS dès à présent si l’on mise sur cette technologie pour retirer du CO2 de l’atmosphère. En effet, pour suivre le plan du GIEC et stocker 10 milliards de tonnes de CO2 par an en 2050 (correspondant à environ 15% de réduction des émissions mondiales), il faudrait que le nombre de projets de stockage dans le monde passe de 20… à 15 000
Sources:
- GIEC groupe de travail III, Rapport spécial sur le piégeage et le stockage du dioxyde de carbone , 2005
- Zoback and Gorelick: Earthquake triggering and large-scale geologic storage of carbon dioxide. PNAS, 2012
- Les procédés de capture du CO2: cas des unités de traitement et de valorisation thermique des déchets. Etat de l’art. A. LOPEZ, D. ROIZARD, E. FAVRE, A. DUFOUR, 2013. https://www.record-net.org/storage/etudes/11-0236-1A/synthese/Synth_record11-0236_1A.pdf
- Assessing the potential of molten carbonate fuel cell-based schemes for carbon capture in natural gas-fired combined cycle power plants. M.Spinelli & al, Journal of power sources, 2020
- Captage et stockage du gaz carbonique (CSC). Bernard Durand, IAEA-INIS, https://inis.iaea.org/collection/NCLCollectionStore/_Public/43/009/43009426.pdf , 2011
- IEA Report on CCUS https://www.iea.org/reports/ccus-in-clean-energy-transitions/a-new-era-for-ccus#growing-ccus-momentum
- Alstom’s Regenerative Calcium Cycle – Norcem Derisking Study: Risk Mitigation in the Development of a 2nd Generation CCS Technology. Michael Balfe & al, Energy Procedia, 2014