La notion de “développement” est loin d’être absolue. Sa définition est très dépendante de la réalité socio-économique de la région dans laquelle on se place. Dans cet article de synthèse, nous nous focaliserons sur le développement tel qu’il est vu par les organisations d’aide au développement, c’est-à-dire comme effort à mener pour satisfaire les besoins de base de l’humanité et offrir des conditions de vie dignes. Pris dans ce sens, le développement d’une société consiste à combler des privations, ce qui semble naturellement mener vers une augmentation des usages en biens, infrastructures et services. Ceux-ci mobilisent ressources et énergie dans des procédés qui se font aujourd’hui de manière dommageable pour l’environnement avec, en particulier, une émission massive et prolongée de gaz à effet de serre (GES).
Ainsi, les efforts de développement semblent difficilement compatibles avec les contraintes sur les émissions de GES que nous imposent nos objectifs de limitation du réchauffement climatique à moyen terme. Cet article a l’ambition d’éclaircir l’origine de cette tension à travers l’exemple de l’électricité qui en constitue, certes, un cas particulier, mais est à nos yeux représentatif de l’enjeu.
La notion de “développement” est loin d’être absolue. Sa définition est très dépendante de la réalité socio-économique de la région dans laquelle on se place. Dans les pays dits en développement (PED)[1], “se développer” indique l’effort mis en oeuvre pour subvenir aux besoins de base de la population (alimentation, accès à l’eau, à l’éducation, à la santé, etc.) et pour développer les infrastructures (routes, réseaux, etc.), tandis que dans les pays industrialisés, il est plutôt question d’améliorer le cadre (air, eau, sol…) et le niveau de vie. C’est pourquoi la pertinence des indicateurs de développement utilisés par les entités supranationales, états, entreprises et ONG, tels que l’IDH, le PIB par habitant, diffère d’une région à l’autre. Il est important de noter qu’en l’état actuel des choses, la plupart de ces indicateurs ignorent les paramètres climatiques.
Dans cet article de synthèse, nous nous focaliserons sur le développement tel qu’il est vu par les organisations d’aide au développement, c’est-à-dire comme effort à mener pour satisfaire les besoins de base de l’humanité et offrir des conditions de vie dignes. Pris dans ce sens, le développement d’une société consiste à combler des privations, ce qui semble naturellement mener vers une augmentation des usages en biens, infrastructures et services. Ceux-ci mobilisent ressources et énergie dans des procédés qui se font aujourd’hui de manière dommageable pour l’environnement avec, en particulier, une émission massive et prolongée de gaz à effet de serre (GES). Ainsi, les efforts de développement semblent difficilement compatibles avec les contraintes sur les émissions de GES que nous imposent nos objectifs de limitation du réchauffement climatique à moyen terme. Cet article a l’ambition d’éclaircir l’origine de cette tension à travers l’exemple de l’électricité qui en constitue, certes, un cas particulier, mais est à nos yeux représentatif de l’enjeu.
Le secteur de l’électricité incarne l’opposition entre développement et préservation du climat
L’exploitation d’énergie est une composante fondamentale des économies actuelles, mais elle est aussi l’un des plus importants facteurs d’émission de GES. L’électricité illustre tout à fait cette dualité. En effet, représentant 19% de l’énergie finale utilisée dans le monde [1], les services qu’elle rend s’étendent de l’usage privé (cuisson, éclairage, réfrigération) aux usages industriels permettant l’amélioration de la qualité de vie (santé, alimentation) et le développement économique (activité manufacturière, réseaux). Son utilisation est directement corrélée au niveau de vie, ainsi que l’illustre le graphique ci-dessus.
Cependant, la production d’électricité est responsable de 27% des émissions totales de GES [2]. Ce moteur fondamental du développement s’avère ainsi difficilement conciliable avec la préservation du climat. Pour réconcilier ces deux objectifs antagonistes, deux types de solutions peuvent être envisagés :
- Imaginer un modèle de développement qui s’affranchit de l’électricité. C’est difficilement envisageable, car dans plusieurs de ses applications (conservation des aliments, cuisson et éclairage sans combustion, télécommunications, numérique), l’électricité ne trouve aucune alternative parmi la gamme de vecteurs énergétiques dont on dispose. C’est la raison pour laquelle à l’heure actuelle, aucun pays n’a pu se développer sans doper sa consommation électrique (cf. graphique précédent).
- Poursuivre sur la voie du développement traditionnel et parier sur l’électricité décarbonée. Il existe une pluralité de manières de produire de l’électricité, plus ou moins émettrices de GES, et l’on pourrait penser qu’il suffirait de se limiter aux techniques les moins carbonées pour atteindre les objectifs de limitation des émissions. Aucun mode de production électrique actuel ne peut cependant se vanter d’être à la fois à impact environnemental nul et suffisamment efficace pour satisfaire la demande actuelle : le solaire et l’éolien requièrent une grande quantité de métaux et de terres rares, polluants à extraire ; l’hydroélectricité nécessite d’inonder des vallées ; le nucléaire de 3e génération présente des contraintes de ressources en uranium. Les moyens de production dits fatals, c’est-à-dire qui produisent par intermittence comme l’éolien et le solaire, nécessitent de surcroît que l’on pallie leurs périodes de creux. Stockage ou centrales à gaz de secours : aucun n’est aussi “vert” que l’énergie dont il compense l’irrégularité.
Les pays en développement se construisent actuellement selon le modèle des pays industrialisés, trop émetteur
Actuellement, les PED suivent un chemin de développement similaire aux pays industrialisés lors de leur propre développement : les économies émergentes restent linéaires – par opposition à circulaires – et extractives, basées sur l’abondance de biens et services produits. Ce modèle n’est pas généralisable, par exemple en ce qui concerne le développement des réseaux électriques : même avec des hypothèses de décarbonation de l’électricité très optimistes, les limites planétaires seraient rapidement dépassées en cas de passage à l’échelle. Si 9 milliards d’habitants consommaient en 2050 chacun 6 MWh d’électricité par an [2], avec un facteur d’émission de 0,2 tCO2,eq/MWh (soit ⅔ solaire et ⅓ gaz naturel)[3], alors la production d’électricité serait à elle seule responsable de 10,8 milliards de tCO2,eq/an, soit 9% de plus que le maximum admissible par le système climatique pour conserver une température stable en dessous des 2°C [3]. Il est donc vain de s’imaginer pouvoir résoudre le problème en agissant seulement sur la qualité de notre approvisionnement électrique et de celui des PED : il est nécessaire d’agir sur la consommation en elle-même, ce qui implique de revoir en profondeur les critères d’un développement “réussi”.
A la question de la réconciliation entre développement et contraintes d’émission de GES, nous avons pu tirer de l’exemple des enjeux de l’électrification la conclusion selon laquelle la solution ne pouvait être trouvée autre part que dans la réduction de notre consommation. Les enjeux d’accès à l’eau, à des infrastructures de transport et de services fondamentaux (comme les hôpitaux) cristallisent des oppositions analogues. Les pays industrialisés ont autrefois pu se développer sans se soucier des enjeux climatiques et même si le sujet a évolué, les alternatives ne sont pas aisées à identifier. En vertu du droit au développement, l’Accord de Paris de 2015 a d’ailleurs reconnu que les PED mettront plus de temps à plafonner leurs émissions de GES. Il est donc nécessaire d’explorer d’autres voies : certains exemples, comme les pratiques de mutualisation qui existent dans certains PED, démontrent qu’un développement plus viable pourrait passer par un “changement de logiciel”, définissant de nouveaux objectifs de société et de nouveaux objectifs de société et de nouveaux critères définissant le désirable.
Sources :
- Données de l’Agence Internationale de l’Energie
- Données de l’Agence américaine de protection de l’environnement (EPA)
- Données de l’Agence Météorologique Mondiale
[1] Dénomination désormais rejetée par la Banque Mondiale, qui ne juge plus le terme pertinent : elle parle désormais de pays à faibles revenus (PFR) ou à revenus intermédiaires (PRI).
[2] Soit la consommation annuelle d’un habitant de Roumanie par exemple, à laquelle est ajoutée un quart des usages non électriques au titre de l’électrification de nombreux usages. Données Banque Mondiale
[3] L’utilisation d’électricité nucléaire serait envisageable dans les PED, mais elle requiert un niveau de développement élevé pour être utilisée en toute sûreté, contrôlée par des institutions compétentes.